Paroles Gaston Couté (1911), musique Alexandre Desrousseaux (1853)
[LA]

« Dans toute la région du Nord, les mamans pauvres ont l’habitude de confier leurs bébés à une soigneuse. Puis elles s’en vont gagner leur vie à la fabrique, à l’usine, dans les tissages. La soigneuse a beaucoup d’enfants à garder. Pour ne pas être dérangée, elle leur fait boire le « dormant » qui est une décoction de tête de pavot ! Le petit bébé gorgé d’opium… s’endort !… » Marcel Sembat (Les Hommes du Jour)

Gaston Couté (1880-1911), poète libertaire, poète paysan, poète anarchiste.

La Berceuse du dormant

Voyant pour l’usine partir sa mère, Le pauv’ p’tit quinquin abandonné, Dans ses langes gris de la misère S’débat en gueulant comme un damné ! Alors la vieille soigneuse, en manière de berceuse Grogne tout en faisant téter sa drogue à c’t’innocent…

Tiens v’là du dormant Ch’tit garnement qui gueule tout l’temps Tu ne gueul’ras plus lorsque tu l’auras bu !

Voyant les richesses qui sont sur terre, Le gosse au dormant ayant grandi, Devant l’injustice de sa misère Commence à r’sauter comme un maudit. Alors, arrive le prêtre qui sert au malheureux être Une décoction de tous les pavots d’la r’ligion…

Tiens…

À vingt ans, n’ayant rien sur la terre, Qu’est-ce qu’il irait faire au régiment ? Se battr’contre des frères de misère : Ça ne lui sourit aucunement ! Mais on l’saoule comme une bourrique de sottises patriotiques ! Nom de dieu ! Qu’c’est beau la gloire et l’honneur du drapeau…

Tiens…

Plus tard sombre esclave, noir prolétaire, Sentant dans son cœur l’orage monter, À bout d’injustice, à bout d’misère, Il est sur le point de s’révolter ; Pour le faire tenir tranquille son député, brave quinze mille À coups d’ boniments vient lui foutre encore du dormant.

Tiens… (bis)